L'art de la critique
La critique est subjective, c’est un fait. Et pour peu que deux critiques assistent au même spectacles, mais lors de deux soirées différentes, leurs
comptes rendus peuvent paraître contradictoires.
Un bel exemple nous fait avec les critiques de la nouvelle production de Fidelio à l’Opéra de Tours : Vincent Deloge (resmusica.com) a assisté à la
représentation du 15 octobre, Mehdi Mahdavi (altamusica.com) à celle du 17.
VD : L’attraction principale de ce Fidelio était la prise de rôle de Mireille Delunsch en Leonore. En grande forme vocale, cette artiste
attachante relève le défi avec sa flamme coutumière, une rare intelligence musicale et un instrument toujours aussi captivant. Elle campe un personnage dont la caractère volontaire dissimule à
peine la fragilité et les angoisses, pour une prise magistrale d’un rôle convenant parfaitement à son tempérament.
MM : Attendue non sans crainte - car ce sont souvent les rôles où on l’attend le plus qu’elle réussit le moins -, Mireille Delunsch trébuche sur
l’écriture impitoyablement sur le fil de Leonore, empêtrée dans des changements de registres qui brisent une ligne encore classique. D’autant que l’actrice, qui souvent donne le change quand la
voix se rebelle, paraît souvent absente, émotionnellement négligée par la mise en scène.
VD : Jean-Francis Monvoisin, en revanche, se révèle seulement soucieux de décibels dans une prestation dénuée de la moindre
nuance.
MM : Inévitablement desservi par un timbre rien moins que séduisant, Jean-Francis Monvoison n’en est pas moins un Florestan d’une probité
musicale et vocale rare, tant il est vrai que les ténors capables de venir à bout de ce rôle aussi bref que périlleux sans escamoter qui les nuances, qui les aigus, sont rares - le public semble
ne pas en avoir conscience, qui lui réserve un accueil tout juste poli, voire gêné.
VD : Abonné aux rôles sombres du répertoire, Peter Sidhom se délecte à camper un Pizzaro sadique et vindicatif, avec des moyens vocaux
considérables. Scott Wilde, en revanche, compose un Rocco très paternel doté d’une belle profondeur de grave.
MM : Pizzaro n’est pas moins exigeant, qui souligne l’usure ailleurs habilement dissimulée de Peter Sidhom, curieusement fagoté en crapaud. Plus
humain, de caractère comme de vocalité, Rocco bénéficie de la basse saine et sonore, de la carrure bonhomme de Scott Wilde.
VD : Sabine Revault d’Allonnes alarme par sa verdeur à son entrée en scène avant de déployer, à partir du quatuor, un arsenal de nuances
musicales auquel il est difficile de résister. Plus pâle est son Jacquino, dans lequel Stanislas de Barbeyrac nous offre une prestation assez générique
MM : Enfin, Stanislas de Barbeyrac, déjà remarqué au sein de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, et Sabine Revault d’Allonnes sont joliment
appariés, Jaquino à la couleur éclatante de jeunesse, à la présence sobre et attachante, Marzelinne plus pointue que piquante, mais non moins touchante.
VD : Le succès de la représentation doit énormément à Jean-Yves Ossonce et à sa phalange. Le chef nous livre une direction magistrale, ample et
colorée, riche en contrastes, attentive à la moindre nuance mais capable de larges envolées, réussissant à conférer une parfaite unité à la partition et nous y faisant découvrir des tonalités
angoissantes insoupçonnées. L’orchestre le suit dans la moindre des ses intentions avec une belle plénitude sonore, et les chœurs sont égaux à eux-mêmes, ce qui n’est pas un piètre
compliment.
MM : En vrai chef de théâtre, Jean-Yves Ossonce tente non sans peine de maintenir le fil que les maladresses de la mise en scène ne cessent de
rompre. Sa direction se révèle dès lors sans concession pour le plateau comme pour l’Orchestre Symphonique Région Centre-Tours, un peu désarçonné sans doute par le caractère hybride d’une
partition pas tout à fait affranchie d’un certain classicisme formel, et secouée d’élans puissamment visionnaires – qui attendent d’être éclairés, peut-être, par une lecture qui reviendrait à la
source, en considérant le Singspiel non pas comme un cadre contraignant pour le génie romantico-shopenhaurien de Beethoven, mais comme un catalyseur de sa singularité.
Alors, finalement, succès ou échec ?
Les comptes rendus complets :
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