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  le blog bertysblog

Double culture

11 Avril 2007, 20:39pm

Publié par Berty

Avec la signature du Traité de Francfort, le 10 mai 1871, l’Alsace devient partie intégrante de l’Empire Allemand. Nous en conservons aujourd’hui encore les traces, en particulier un droit local auquel les Alsaciens sont très attachés (sur de nombreux points, ce droit est particulièrement avantageux). C’est également de cette époque que date l’habitude de parler de “l’intérieur“ pour désigner le territoire se trouvant à l’ouest des Vosges, c’est-à-dire de l’autre côté de ce qui était alors la frontière. Les Alsaciens marquaient ainsi leur attachement à la France : si l’Alsace était devenue allemande, eux ne l’étaient pas, ils restaient français, des Français vivant hors du territoire national (à l’extérieur) d’où cette distinction avec ceux de “l’intérieur“. L’une des figures marquantes de cet état d’esprit est le peintre et illustrateur colmarien Jean-Jacques Waltz, dit Hansi.


C’est durant cette période que Strasbourg sera profondément transformée comme en témoigne la place de la République avec son architecture typiquement germanique, occupée sur l’un de ses cotés par le Palais du Rhin, ancienne résidence impériale (Guillaume II y séjourna une dizaine de fois entre 1889 et 1914).


La “germanisation“ de l’Alsace impliquait aussi par une politique culturelle de prestige : les plus grands artistes de leur époque venaient régulièrement à Strasbourg, l’orchestre et l’opéra de la ville furent confiés à des chefs tels que Otto Lohse, Wilhelm Furtwängler, Hans Pfitzner, Otto Klemperer, George Szell, Josef Krips… Richard Strauss et Gustav Mahler viendront diriger régulièrement.

Tout cela à longtemps imprégné l’âme alsacienne, la double culture était une évidence. Et la génération de nos parents, qui a vécu l’annexion de 1940, nous l’a transmis. Cette spécificité, qui avait déjà tendance à s’estomper, disparaît progressivement : les jeunes issus de l’immigration (importante dans la région et d’origines diverses) n’ont bien évidemment aucun lien avec ce passé, le brassage des populations et l’universalisation de la culture achevant d’effacer notre singularité.

L’un de nos grands hommes, Germain Muller, comédien, auteur, poète et pendant de longues années adjoint au maire à la Culture de Strasbourg, avait créé une revue satirique qui, des décennies durant, avait symbolisé “l’esprit alsacien“ (revue dans laquelle avait débuté un jeune comédien, Jacques Martin). Dans les dernières années, il avait pris l’habitude de conclure par une petite chanson prémonitoire :
“Mer sen schien’s d'Letschte, d'Allerletschte von denne Laetze wo noch so babbele wie 'ne der Schnawel gewachsen ésch… “ (Il semble que nous soyons les derniers, les tous derniers qui parlent encore tel que le bec nous est poussé…).


Double culture et ouverture sur l’Europe. Les frontières sont tombées : pour nous elles n’existaient plus depuis longtemps. La monnaie unique a encore facilité les échanges : combien d’entre nous avaient en permanence sur eux les monnaies des deux pays, voire des trois, car n’oublions la Suisse toute proche. Petite anecdote : un dimanche, nous étions allés visiter Neuf-Brisach, ville fortifiée par Vauban, avec mon meilleur ami, sa femme, ses enfants et ses beaux-parents. Comme nous ne trouvions aucune terrasse pour nous reposer et nous rafraîchir, je proposais d’aller à Vieux-Brisach, juste en face. Là, nous n’avions que l’embarras du choix. Etonnement de la belle-mère, la carte est en allemand. Et pour cause, nous avions franchi le Rhin ! Je n’avais même pas songé signaler le passage de la “frontière“, tant la chose me semblait naturelle. Elle, elle n’en revenait pas ! Il est vrai que, pour elle, la barrière de la langue était toujours là.
Pas pour moi.

A une époque où il n’y avait encore que deux chaînes de télévision en France, nous regardions indifféremment celles-ci ou leur équivalent allemand. Chose naturellement pour mes parents ayant fait la majeure partie de leur scolarité sous l’annexion, donc en allemand. Et quand, au collège, j’ai commencé à apprendre cette langue, je la parlais déjà couramment comme la plupart de mes camarades. Une génération en voie d’extinction, vous disais-je !
Mais paradoxalement, cette ouverture renforçait le “sentiment national“. Le 14 juillet, les villes pavoisaient : drapeaux à toutes les fenêtres ! La plus petite prise d’armes attirait les foules. Rien à voir avec un quelconque nationalisme belliqueux. Non, juste de la mémoire. La mémoire de ceux qui n’avaient pas oublié qu’une vingtaine d’années plus tôt ils rêvaient de liberté et que ces petits bouts d’étoffe que nombre d’entre eux avaient gardés soigneusement cachés, malgré les risques encourus, étaient le symbole de cette liberté retrouvée.

Et dire que certains veulent rétablir les frontières craignant la perte de notre identité nationale. Quelle imbécillité ! Le repli sur soi a-t-il jamais été une solution ? Je suis Alsacien, je suis Français, je suis Européen… L’un empêche-t-il l’autre ? Suis-je plus l’un que l’autre ? Certainement, selon les circonstances et jamais le même ! Je suis les trois, j’ai besoin des trois.

Alors… Espèce en voie de disparition ? Pas si sûr, finalement…

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